(Édité et corrigé par Adeline Rivard. Merci mille fois)

“L’Europe après la pluie” par Max Ernst (1940)
Est-il vraiment possible de comprendre ou reproduire le surréalisme de notre point de vue au vingt-et-unième siècle? Définitivement en Angleterre le surréalisme est, de nos jours, simplement un synonyme d’étrange, mais on ne peut pas oublier qu’au début était une philosophie sérieuse. En fait, les poètes surréalistes avaient plus confiance en leur philosophie que par exemple les symbolistes. Ils avaient tendance à s’identifier au terme “surréalisme” et d’autre part, le terme “symbolisme” et le manifeste qui a constaté sa philosophie a été publié après l’apparition de l’œuvre principale des poètes symbolistes, par exemple ‘Les Fleurs du Mal’ de Charles Baudelaire, etc. Mais André Breton, le théoricien du surréalisme (une tâche difficile, comment théoriser l’inthéorisable?) a constaté plusieurs fois le dogme du surréalisme.
La fondation du surréalisme n’est pas si difficile à réimaginer. Après la Première Guerre Mondiale et sa fête galante du mort inimaginable, on ne pouvait pas retourner à”l’Iliade”, “la Chanson de Roland” ou même “le Bateau Ivre”. Plusieurs qui ont survécu à sa brutalité massive et ses litanies de fièvre et d’horreur corporelle ont trouvé une nouvelle réalité où toutes les associations esthétiques ne fonctionnaient plus. André Breton en était le partisan. Un de ses essais au Point du Jour constate que le mot “donc” n’est plus possible. De plus, le mot “comme” est plus important, mais le surréalisme ayant supprimé le mot “comme”, il n’y a plus besoin d’un mot qui lie sans cesse des associations. Cependant, la Première Guerre Mondiale est à l’origine de toutes ces remarques. On peut voir cela en analysant le début de l’essai dans lequel apparaît les remarques citées: “Sans croire à la folie, j’ai connu pendant la guerre un fou qui ne croyait pas à la guerre. D’après lui, les pretendes hostilités n’etaient, à une échelle très vaste, que l’image d’un tourment à lui infligé, encore qu’il ne sût dire à quelles fins (mais nous étions beaucoup dans le même cas.) ” Breton affirme que, puisque la réalité est un rêve, la poésie devrait l’être également. Selon Breton, “pour ma part, je ne refuse à y voir autre chose que l’expression d’une idée transitionelle, d’ailleurs assez timide, et qui, en ce qui regarde les tentatives poétiques et picturales d’aujourd’hui, ne rend plus compte de rien.” La guerre a encouragé ce refus, et une pensée libérée malgré elle doit devenir plus onirique et plus attentive aux racines ou aux essences d’un objet plutôt qu’à ses résonances symboliques.
Les surréalistes étaient une coterie intime à Paris et quelque part Breton discute son idée d’une grande orgie avec ses amis surréalistes, par exemple Robert Desnos. Mais Breton est plus anarchiste que Desnos et ses poèmes sont toujours en vers libre et un carnaval mythologique. Il s’intéresse aux mystères du corps: il porte un intérêt particulier aux mains, qu’il compare à un tourbillon d’images mythologiques et botaniques. Les poèmes ressemblent eux-mêmes à la logique du corps, des types de tissu conjonctif et des os, avec une montagne russe issue des images mythologiques. Ainsi, on est par exemple totalement immergé par son poème ‘Monde dans un baiser”:
Le joueur à baguettes de coudrier cousues sur les manches
Apaise un essaim de jeunes singe-lions
Descendus à grand fracas de la corniche
Tout devient opaque je vois passer le carrosse de la nuit
Traîné par les axolotls à souliers bleus
Entrée scintillante de la voie de fait qui mène au tombeau
Pavé de paupières avec leurs cils
La loi du talion use un peuple d’étoiles
Tant de flacons étaient brisés dans cette cave
Que l’odeur du vin bu pur le sable montait
Comme un brouillard d’octobre au dessus des vieux quais
Et les murs salpêtrés étaient jaunes de lave
I leave this at your ear for when you wake
A creature in its abstract cage asleep
Your dreams blindfold you by the light they make
The owl called from the naked-woman tree
As I came down by the Kyle farm to hear
Your house silent by the speaking sea.
I have come late but I have come before
Later with slaked steps from stone to stone
To hope to find you listening for the door.
I stand in the ticking room. My dear, I take
A moth kiss from your breath. The shore gulls cry.
I leave this at your ear for when you wake.
Les images sont incongrues ou grotesques, “naked-woman tree”, reflétant une logique onirique bien que cette logique se soit mise en place à la fin du poème. La prévalence de ce type de surréalisme sur le surréalisme bretonnien pouvait indiquer que la poésie de Breton ne s’adresse pas à notre époque. Le fait que ce soit la poésie versifiée du surréalisme qui résonne en nous indique quelque chose d’important. Notre époque semble plus folle que celle de Breton, mais il y a une véritable envie d’ordre et on est loin de la génération qui a vu les horreurs corporelles de la Première Guerre Mondiale.